Nous n'aurons pas peur.

Charlie Hebdo ne fait pas partie de ces journaux que je lisais. Je n'ai pas grandi avec. Et je n'ai d'ailleurs pas toujours apprécié -ou compris- leur humour: j'ai plus d'une fois pensé “ohlala, ils exagèrent quand même”.
En bref, si Charlie incarnait ce gamin de primaire qui éclate d'un rire plus gros que lui dans la cour de récréation, envoie des boulettes de papier en cours et dessine le maître (et son zizi) au tableau, pour ma part je correspondais plutôt à l'élève moyen mais studieux, sage et peu subversif, celui qui vit entre les gâteaux de maman et la menace de la sanction suprême: dix lignes à recopier. Celui qui n'a rien contre Charlie tant qu'il ne l'empêche pas de recopier ses tables de multiplication, et qui l'invite à ses goûters d'anniversaires sans trop y penser. Pour résumer, celui pour qui Charlie fait partie du monde au même titre que Samantha et Ninon: on sait qu'ils sont là, et c'est à peu près tout ce qu'on en pense.

Et pourtant, aujourd'hui, je suis Charlie. Je n'entends pas par là que, ô miracle, je suis devenue aussi intrépide que mon copain de classe. Je ne suis pas le Charlie du passé -je ne l'ai jamais été et ne le serai jamais, question de caractère. Mais par contre, je suis le Charlie du présent, celui qui est meurtri dans sa chair, celui qu'on a tenté de tuer. Je suis Charlie, car ces civils tués, ça aurait pu être moi. Moi, la jeune femme qui fait des études, ouvre sa gueule si elle en a envie, rentre chez elle à l'heure qu'elle veut et montre ses jambes si elle le désire. Marrant comment une telle généralisation entraîne une réaction de rejet (de défense?) chez certains: “ah non, mais en même temps ils l'avaient cherché, toi c'est pas pareil!”. Mais si, justement. Moi, nous... C'est pareil. On leur a reproché d'user de leurs droits. On pourrait me reprocher d'user des miens, et on pourrait vous reprocher d'exercer les vôtres.
Alors oui, ils avaient pris des risques certes, mais ils ne l'avaient pas “cherché”. Et honnêtement je les comprends, parce que je ne vois pas pourquoi nous laisserions une poignée d'enfoirés nous dicter nos vies.

Mais aussi et surtout, je suis Charlie car, comme tous mes concitoyens, je porte en moi une petite part de la République Française. Et c'est sur la République Française que l'on a tiré. Ce n'est pas là un constat larmoyant, c'est une réalité: on nous a attaqué pour ce que nous incarnions (plus ou moins justement), parce que nous étions la France. Le but était visé était encore plus effrayant, puisqu'il s'agissait de la création d'une vague de peur sociale. Une vague qui nous aurait fait retirer nos troupes extérieures et aurait conduit, par crispation identitaire, à ce qui ressemblerait dangereusement soit à une guerre civile, soit à une guerre contre l'islam (ou l'un dans l'autre d'ailleurs). Une sorte de tsunami, créé pour menacer notre liberté, donner l'impression que notre égalité était mise à mal (sinon pourquoi tenter de monter juifs et catholiques contre les musulmans?), et ainsi dévaster notre fraternité. Joli programme.
Et vous savez quoi? Ils échoueront. Parce que non, nous n'aurons pas peur. Et non, nous ne sombrerons pas dans la guerre civile. Et non, nous n'arrêterons pas nos interventions extérieures. Parce que tout ce que méritent ces assassins, c'est d'échouer, d'échouer pour que soit honorée la mémoire de ceux qui sont morts, et dont les seuls crimes sont d'être nés avec un crayon à la main et un sourire sur le visage, ou d'avoir voulu protéger l'autre.

Je suis Charlie, et j'en suis à la fois triste et fière. Triste, parce que l'événement qui a permis une telle mobilisation est odieux et n'aurait pas du exister. Nous aurions du lutter côte à côte avec Charlie, et non en portant son nom. Mais je suis surtout fière, fière d'être française, fière d'être debout, fière de mes droits et de ceux qui se battent pour les protéger, fière de me battre moi-même. Je suis également fière d'être la masse. Je ne porte pas là de jugement sur ceux qui ont décidé de ne pas être Charlie, leurs arguments sont parfois convaincants et, surtout, ils ont le droit de les exprimer: je respecte leur exception. Je ne porte pas de jugement sur eux, mais j'attends d'eux qu'ils n'en portent pas sur moi.

Parce que parfois, être la masse ne témoigne pas de la lâcheté, mais d'un sacré courage.

Et moi, la trouillarde de service, aujourd'hui, je n'ai pas peur.




Merci à ceux qui ont lu -bisous sur vos joues, et même sur celles de ceux qui n'ont pas lu (ce que je ne saurai leur reprocher).